À première vue, cette question – Que faut-il entendre par l’expression « Camp de la Patrie » ? – semble simple ; mais elle revêt une pertinence importante si l’on considère les enjeux politiques, sociaux et identitaires qu’elle sous-tend. Car derrière cette formule se joue bien plus qu’un slogan : elle cristallise un appel à l’unité nationale, à la mobilisation collective et à la défense de la souveraineté dans un pays menacé par les divisions internes et les ingérences extérieures. Réfléchir sur cette expression, c’est donc interroger le rapport que la République démocratique du Congo entretient avec elle-même, avec son histoire récente et avec l’urgence de consolider un projet commun face aux défis de l’heure.
En effet, dans l’histoire politique de la RDC, cette expression remonte aux Accords de l’Hôtel Cascade en 2002 à Sun City entre la Composante Gouvernement et le MLC, qui avaient donné naissance à l’Accord-cadre du même nom ; un accord qui, de fait, isolait le RCD/GOMA dont les exigences pour l’obtention d’un accord global et inclusif étaient jugées si extrémistes qu’elles paraissaient faire le jeu du Rwanda, puissance accusée de vouloir balkaniser le pays.
L’Accord-cadre de l’Hôtel Cascade devait entraîner l’unification des territoires contrôlés par le Gouvernement et le MLC et accordait la Primature au MLC, unifiant ainsi les forces armées pour lutter ensemble pour la préservation de l’intégrité territoriale du pays. Comme on le sait, cet Accord-cadre ne put être mis en œuvre à cause du désaccord entre les protagonistes sur les conditions de sa mise en œuvre et parce qu’il était dénoncé par le facilitateur de ne pas favoriser un accord global et inclusif. Ainsi, pour mieux cerner sa substantifique moelle, il nous paraît tout à fait logique de nous référer à ce document qui propose une analyse de cette notion, de sa portée symbolique aux critiques qu’elle a suscitées.
Selon le communiqué de Martin Fayulu, le « Camp de la Patrie » est avant tout un état d’esprit : un appel à l’unité nationale, au rassemblement et non à l’exclusion dans un contexte de crise. Il met en avant des valeurs telles que le patriotisme, qui implique l’amour de la terre léguée par les ancêtres (patres), la détermination à la protéger et à la promouvoir ; la vérité, la justice, ainsi que le respect strict de la Constitution. Il symbolise la conviction que la RDC est une, unie et indivisible. Tout Congolais animé par cet esprit aurait ainsi le devoir sacré de défendre le pays, son intégrité territoriale et sa souveraineté face aux menaces de balkanisation ou d’agression étrangère.
Fayulu propose ce « camp » comme un espace dépassant les clivages politiques, ethniques ou régionaux, engagé pour la protection de la nation et l’unité du peuple. Il ne s’agit ni d’un parti, ni d’un cartel de circonstances, mais d’un appel moral à la responsabilité collective, un rassemblement patriotique, fondé sur des valeurs nobles, pour défendre l’unité et la souveraineté de la RDC et dont l’objectif serait d’encourager chaque Congolais à agir selon son devoir constitutionnel en période de crise.
Cependant, expression démocratique oblige, certains acteurs politiques ont vivement critiqué cette initiative. Ils ont pensé qu’un tel « camp » constitue une erreur stratégique majeure, compromettant le dialogue et la cohésion nationale. D’autres y ont vu un risque d’exclusion, craignant que ce camp ne devienne un instrument partisan au lieu de rassembler véritablement la nation. D’autres critiques évoquent une manipulation politique, dénonçant un slogan potentiellement polémique utilisé pour diviser plutôt que d’unifier.
Pour notre part, nous pensons que, dans le contexte actuel, par ce « Camp de la Patrie », le Président Martin FAYULU entend « le regroupement de ceux qui luttent pour la sauvegarde de l’intégrité territoriale du pays », rejetant toute accointance avec les puissances étrangères qui agressent le pays et travaillent à sa balkanisation ou la favorisent (les mouvements insurrectionnels et les forces politiques qui leur sont affiliées). Ce camp rejette tout recours à la violence pour faire valoir des revendications politiques et soutient ainsi la démarche de la CENCO-ECC pour la résolution pacifique de la crise et l’obtention d’un Pacte social pour la Paix et le bien-vivre ensemble en RDC.
Au-delà de la noblesse de ce projet ou de cette initiative, quelques questions se posent à propos de ce « Camp de la Patrie » ainsi conçu. Nous en évoquons quatre. La première : ce camp veut-il se présenter comme une force politique face aux autres lors du Dialogue initié par la CENCO et l’ECC ? La deuxième : peut-on obtenir la paix et la stabilité du pays sans prendre en compte les forces politiques armées (AFC/M23) ? La troisième : ne faut-il pas reconnaître que sans l’action de ces forces, le Gouvernement serait déjà très avancé dans son action de confiscation totale de l’espace public qui devrait conduire au changement de la Constitution ? Et, la quatrième : les actions posées par l’USN incitent-elles vraiment à penser que cette structure politique veut vraiment l’aboutissement de la démarche de la CENCO et de l’ECC ? On a plutôt l’impression que le Gouvernement dénie l’existence d’une crise interne qui nécessiterait ce dialogue avec toutes les forces politiques et sociales par une refondation de la gouvernance du pays.
C’est à la lumière des réponses apportées à ces quatre questions que pourront se dissiper les principales interrogations suscitées par cette expression, ouvrant la voie à une compréhension plus claire du concept de Camp de la Patrie et, surtout, à une saisie plus précise de la pensée de Martin Fayulu. Cependant, en attendant qu’on s’y penche, il nous semble, dans le contexte actuel, que doivent être considérés comme « Camp de la Patrie » les forces politiques et sociales qui s’accordent sur les points essentiels ci-après :
Primo : la crise que traverse le pays ne peut être résolue que par un dialogue franc, sincère et inclusif visant l’assainissement de l’espace public par une gouvernance de qualité capable de promouvoir le développement (une gouvernance fondée sur la rationalité, l’inclusivité, la transparence, le respect mutuel et la critique constructive) ;
Secundo : le renoncement à la violence comme mode de résolution des conflits. Quels que soient les clivages que traverse le pays, les patriotes peuvent coexister et interagir sans vouloir l’éclatement de la nation. Les sociétés démocratiques font de la contradiction le moteur de leur dynamisme ;
Tertio : l’engagement pour le respect des décisions qui seront issues du Dialogue initié par la CENCO et l’ECC et qui ne devrait pas consacrer une prime à la violence comme mode de résolution des conflits ou au gangstérisme politique, mais favoriser l’émergence d’une nouvelle culture politique résolument orientée vers la consolidation de la démocratie, de l’État de droit et de la bonne gouvernance ;
Quarto : la reconnaissance du Peuple comme souverain primaire, seul détenteur du Pouvoir et instance de légitimation, dont la volonté exprimée par les urnes est sacrée et doit être respectée. L’instance de légitimation du pouvoir ne doit donc être ni les combines politiciennes (compromis à l’africaine) ni les forces ou puissances étrangères ;
Cinque : l’engagement à consacrer dans l’espace public congolais et dans la gestion politique les exigences éthiques de primat de la personne, de justice (au sens de l’État de droit et de la juste distribution des richesses nationales) et de respect des exigences d’une culture démocratique.
Pierre Anatole MATUSILA
Président Général de l’ABAKO et Président honoraire de l’Assemblée provinciale du Kongo Central





