Le fédéralisme est marqué, tant du point de vue normatif qu’institutionnel, par le désir de protéger l’État et les diversités socioculturelles (groupes minoritaires). Il permet d’unir les diversités (collectivités territoriales, entités fédérées) dans un ordre commun (État fédéral) pour accroître leur solidarité tout en préservant leur autonomie, leur particularisme ou leur différence. Le fédéralisme garantit à la fois l’unité d’ensemble, la solidarité et l’autonomie effective des diversités socioculturelles dans leur domaine de compétence, qui est inaliénable, inviolable, définitif et qui ne peut être exercé par le pouvoir central, ni être révoqué par ce dernier de manière unilatérale.
Dans le fédéralisme, il y a unité au sommet (État fédéral), diversité et autonomie à la base (États fédérés) et participation des États fédérés au pouvoir constituant et législatif national (État fédéral). La République est unitaire, mais son mode de gestion est fédéral. Cette unité territoriale est garantie par la loi fondamentale qui s’impose à tous les citoyens et à toutes les composantes de l’État (Entités fédérées). Les entités territoriales (États fédérés) n’ont aucun droit de modifier leurs limites internes et ne disposent pas du droit de sécession.
En République Démocratique du Congo, après plusieurs décennies de concentration de tous les pouvoirs à Kinshasa, avec comme conséquence, le totalitarisme, le sous-développement, les guerres civiles et le chaos ayant entraîné les violations massives des droits humains, les pillages systématiques des ressources naturelles, l’effondrement du tissu économique et la partition du pays en des territoires inaccessibles à ses citoyens ; la Constitution post-conflit du 18 février 2006 issue du Dialogue inter-congolais, a levé l’option sur la décentralisation comme mode d’organisation et de gestion des institutions de l’État afin d’améliorer la gouvernance du pays et le niveau de vie de la population par un partage équitable et consensuel des ressources et l’équilibre sociologique du pouvoir, pour préserver la paix, l’unité et la réconciliation nationale. Un État unitaire qui a pour seul centre de décision le pouvoir central est anachronique et ne répond plus à la complexité de gestion des États modernes.
Dix-neuf ans après son lancement, le processus de la décentralisation stagne aussi bien au niveau de la gouvernance centrale, provinciale qu’à celle des Entités Territoriales Décentralisées (ETD) qui constituent les 3 centres de décisions autonomes. En réalité, on assiste à un courant centripète qui tend à isoler et à vider de leurs compétences les deux autres paliers de la gouvernance décentralisée et du régionalisme politique en violation de l’article 220 de la Constitution qui interdit la réduction des prérogatives des Provinces et des ETD. Les oligarchies politiques très peu intéressées au développement ont pris le dessus, à la fois au centre (résistances des autorités du gouvernement central) et à la périphérie (insuffisance des administrations locales et provinciales). La décentralisation s’essouffle et peine à s’imposer. Tant que les élections urbaines, municipales et locales ne seront pas organisées sur toute l’étendue de la République, la décentralisation demeure au niveau théorique par rapport à ses trois objectifs, à savoir : la promotion de la démocratie, le développement et la lutte contre la pauvreté.
Force est de constater la rupture du consensus politique conclu au Dialogue Inter-Congolais de Sun City sur le partage équitable des ressources et l’équilibre sociologique du pouvoir entre l’État, les Provinces et les Entités Territoriales Décentralisées. Les dysfonctionnements que l’on peut facilement constater dans la marche de l’État congolais, qui fragilisent sa stabilité et plombent son décollage économique, sont pour une large part, tributaires des limites de la forme de l’État consacrée dans la Constitution.
Tout en reconnaissant qu’aucune forme de l’État ne conduit par soi et automatiquement au développement, nous devons également nous interdire une espèce de déni de la réalité, c’est-à-dire refuser de voir que l’unitarisme centralisé instauré depuis 1965 par le Général Joseph Désiré Mobutu, et décentralisé par la Constitution post-conflit du 18 février 2006, a conduit à la faillite de notre État à cause du relâchement généralisé de l’effort au travail, de la démobilisation psychologique et de l’absence de toute confiance dans les structures politiques et leurs animateurs. Nos choix actuels ne doivent donc être dictés que par les évidentes leçons de notre histoire, de l’expérience vécue et par les impératifs de la rationalité et de l’efficacité. Les institutions sont souvent le résultat de compromis liés à l’existence des tensions, voire des conflits qui traversent une communauté nationale.
C’est au regard des avantages considérables d’une structure fédérale, particulièrement pour un pays pluri-communautaire et de grande dimension physique comme le nôtre, pour la consolidation de la paix, l’unité nationale, la stabilité sociale, politique et la promotion du développement socio-économique de toutes les provinces de notre pays ; qu’à chaque fois que les Congolais ont eu l’occasion de décider sur la forme de leur l’État, qu’ils ont librement, lucidement et souverainement opté pour une structure fédérale. Ce fut le cas avec la Constitution dite de Luluabourg (1964) et avec le projet de Constitution élaborée par la Conférence Nationale Souveraine (CNS, 1992).
Il est vrai que la Constitution actuelle a accompli des avancées considérables dans la marche vers un État fédéral. Mais il est tout aussi patent que cette marche est plombée par des résistances et des forces d’inertie, qui s’expriment notamment par l’empiétement du pouvoir central sur les compétences provinciales, les nombreuses violations intentionnelles des dispositions constitutionnelles, la péréquation financière non transparente et inefficace, et la manipulation des organes provinciaux et de leurs animateurs au gré des intérêts égoïstes des autorités du pouvoir central, sacrifiant ainsi les aspirations et le développement des populations locales. M. KABASUBABU, ancien gouverneur de la province du Kasaï Occidental l’a si bien résumé en ces termes. « la décentralisation est exploitée à tous les niveaux par les politiciens avides de prédation. Elle finit par être pervertie en un facteur de sous-développement ». Pour ce libre penseur, « les Gouverneurs des provinces sont pour la plupart vassalisés, féodalisés par des prédateurs de tout bord et ne sont plus au service de la population ni de la nation ». Et, rien ne peut briser cette hégémonie centralisatrice, excepté le mode de gestion fédérale.
De toute évidence, la forme de l’État consacrée dans l’ordre constitutionnel du 18 février est un compromis précaire qui devrait nous placer sur l’orbite fédérale. La faillite de l’État congolais, soixante-cinq ans après son indépendance, est consécutive à un refus de nous assumer et de transformer en destinée voulue un destin qui a été forgé sans nous, notamment notre union issue du sort, et à notre incapacité de bâtir un futur fait de prospérité et de grandeur. L’extrapolation en Afrique des constructions étatiques fondées sur les modèles du colonisateur a souvent été inopérante et génératrice des crises multiformes.
La forme fédérale de l’État convient le mieux à des sociétés hétérogènes, multiculturelles comme notre pays la RDC. Dans le découpage des collectivités territoriales, on devrait rechercher des espaces comportant des valeurs idéelles très fortes qui lient l’acteur social à son environnement vital notamment : une homogénéité socioculturelle et un fort sentiment d’appartenance et d’identification. Ces espaces offrent un cadre rationnel pour une administration de proximité, une démocratie participative et l’impulsion du développement économique. Le fédéralisme est une nécessité pour contrecarrer la centralisation absolue du pouvoir, source du totalitarisme, du sous-développement et du chaos.
L’ABAKO, fidèle au combat mené par ses pères fondateurs dont les porte-étendards furent Joseph Kasa-Vubu, Président général de l’ABAKO et premier Président de la République Démocratique du Congo et Edmond Nzeza Nlandu, fondateur de notre parti, lutte pour bâtir un pays uni et fort, articulé sur ses grandes diversités qui font le charme et la force du Congo, afin de parachever le cheminement de notre pays vers le fédéralisme.
Pierre Anatole MATUSILA, (Président Général de l’ABAKO et Président honoraire de l’Assemblée Provinciale du Kongo Central)





