À l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse célébrée chaque 3 mai, Célestin Bibimbu Kuhuna, coordinateur provincial du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC/Kongo Central), a répondu aux questions de Kongo Média pour dresser un état des lieux du paysage médiatique dans la province.
Kongo Média (KM) : En ce 03 mai 2025 où nous célébrons la Journée mondiale de la liberté de la presse, quel état des lieux faites-vous de la situation des médias dans la province du Kongo Central ?
Célestin Bibimbu Kuhuna (CMK) : Sans entrer dans le détail des données sur l’état des lieux des médias au Kongo Central, je me permets de vous dire qu’à ce jour, nous assistons à une implantation anarchique des médias audiovisuels ainsi que des médias en ligne dans toute l’étendue de la province. Selon l’analyse faite au sein de notre coordination provinciale du CSAC, les deux villes ainsi que les dix territoires du Kongo Central disposent de médias audiovisuels appartenant soit à des cadres politiques — nationaux ou provinciaux —, à des ministres ou députés, à des opérateurs économiques, à des confessions religieuses ou à d’autres particuliers, souvent sous couvert de mouvements associatifs.
Jusqu’au mois d’avril 2025, l’espace audiovisuel du Kongo Central comptait environ 150 chaînes audiovisuelles opérationnelles, dont 17 extensions, soit un total de 133 entreprises de presse : 118 stations de radio et 32 chaînes de télévision. Sur ces 133 entreprises, seules 5, soit 4 %, détiennent un avis de conformité délivré par le CSAC, tandis que 16 autres, soit 13 %, sont en attente de cet avis, leurs dossiers ayant été transmis à Kinshasa. Malheureusement, bon nombre de ces médias adoptent un statut commercial, souvent par nécessité financière. Par ailleurs, 22 médias en ligne et 14 groupes WhatsApp créés et animés par des journalistes ont été répertoriés ; ils diffusent régulièrement des magazines d’information, à l’instar des médias traditionnels.
Il est à noter que beaucoup de ces entreprises de presse ne disposent pas de tous les documents administratifs requis, notamment ceux exigés par le CSAC, l’ARPTC, le ministère de la Communication et des Médias, ainsi que celui des Postes, Télécommunications et Nouvelles Technologies de l’Information.
Toujours concernant cet état des lieux, notre coordination provinciale a constaté avec regret que les journalistes opérant dans la plupart des médias de la province sont peu outillés en matière de collecte, de traitement et de diffusion de l’information, mais aussi en ce qui concerne l’éthique et le code du journaliste congolais.
Plus de 85 % des entreprises de presse ne sont pas capables de mobiliser suffisamment de fonds pour assurer leur fonctionnement. Les fonctions de directeur des programmes ou d’animateur d’émissions spécialisées sont souvent confiées à des personnes peu qualifiées. Certaines maisons de diffusion sont inappropriées, utilisant du matériel obsolète et non conforme aux nouvelles normes technologiques. De plus, nombre de médias sont dans l’incapacité de s’acquitter de leurs obligations fiscales.
KM : La liberté de la presse est-elle effective au Kongo Central ?
CBK : Avant de répondre directement, permettez-moi de rappeler l’article 5 de la Loi organique du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication, qui stipule que la liberté de la presse, d’information et de diffusion par tout moyen — radio, télévision, presse écrite ou autre — est garantie, sous réserve du respect de l’ordre public, des bonnes mœurs et des droits d’autrui.
Concernant l’effectivité de cette liberté au Kongo Central, il est évident qu’elle reste fragile. C’est surtout en période électorale que certains journalistes subissent des pressions politiques de la part de candidats ou de propriétaires de médias, lesquels les obligent parfois à outrepasser la ligne éditoriale définie, voire à modifier le contenu des programmes.
En résumé, malgré quelques avancées notables, la liberté de la presse n’est pas encore pleinement acquise dans la province. Elle fait face à de nombreuses contraintes, notamment l’accès difficile aux sources officielles d’information, des intimidations sporadiques de la part de certains acteurs politiques, et d’autres formes d’ingérence.
KM : Les journalistes ou médias confondent souvent liberté de la presse et diffamation. Quelle est votre analyse face à ce fléau ?
CBK : Cette confusion ne devrait pas exister, car plusieurs textes juridiques apportent déjà des précisions claires. L’article 23 de la Constitution de la RDC garantit la liberté d’expression, incluant le droit d’informer, de commenter et de critiquer, surtout sur les questions d’intérêt public.
La liberté de la presse, c’est le droit d’informer, d’être informé, d’avoir ses opinions et de les partager sans entrave, quel que soit le support utilisé, dans le respect de la loi, de l’ordre public, des droits d’autrui et des bonnes mœurs. La diffamation, quant à elle, est une infraction pénale : il s’agit d’une allégation ou d’une imputation de fait portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne. S’il n’y a pas de faits imputés, on parle alors d’injures.
Au Kongo Central, certains journalistes ont été accusés de diffamation pour avoir diffusé des enquêtes mal documentées sur un gouverneur, un député ou un acteur de la société civile. D’autres ont été sanctionnés pour injures. Je recommande vivement aux journalistes de prendre le temps de lire les textes qui encadrent leur profession, de vérifier leurs sources et d’éviter les accusations gratuites.
KM : Le thème mondial de cette année est : « Informer dans un monde complexe : l’impact de l’intelligence artificielle sur la liberté de la presse et les médias ». Les médias du Kongo Central sont-ils prêts à intégrer cette technologie ?
CBK : Cette question dépasse le cadre du seul Kongo Central ; elle concerne tous les pays en développement. Le choix de ce thème n’est pas anodin : il invite les responsables des médias à réfléchir aux stratégies d’adaptation face aux bouleversements provoqués par l’intelligence artificielle dans le monde des médias.
À la question de savoir si les journalistes du Kongo Central sont prêts à s’approprier cette technologie, je serais malhonnête de répondre par l’affirmative. Certes, certains y recourent déjà pour rédiger leurs articles, mais cela reste marginal. Ce recours montre que l’IA bouleverse profondément leur environnement professionnel et qu’elle représente une menace réelle pour certaines fonctions journalistiques.
À mon avis, c’est le moment idéal pour initier des séances de renforcement des capacités sur l’IA. Il faudrait aussi organiser des échanges d’expérience entre journalistes déjà familiers avec cette technologie. Mon souhait le plus ardent est de voir ce transfert de compétences se faire au niveau provincial, en collaboration avec les autorités, les propriétaires de médias, les services numériques et les organes de régulation.