Née entre 1684 et 1686 à Mbanza Kongo, capitale historique du royaume Kongo (actuel nord de l’Angola), Kimpa Vita, de son nom de baptême Dona Beatriz, appartient à une famille noble. Formée à la fois aux enseignements du catholicisme apporté par les missionnaires portugais et aux traditions spirituelles africaines en tant que « nganga marinda », elle devient une figure unique, à la croisée du monde.
À seulement 20 ans, elle affirme être habitée par l’esprit de saint Antoine de Padoue, et entame une mission prophétique visant à réunifier le Kongo, alors fragmenté par des luttes internes et la pression coloniale portugaise. Sa capitale symbolique, São Salvador, devient le centre d’un mouvement spirituel inédit.
L’Antoniannisme : une foi noire pour un peuple libre
Kimpa Vita fonde l’antoniannisme, un mouvement religieux syncrétique affirmant que Jésus est né à Mbanza Kongo, que les saints sont noirs, et que la foi chrétienne doit être libérée de la domination coloniale. Rejetant certains rites imposés par les missionnaires européens, elle conçoit ses propres prières et rituels, prônant un christianisme africanisé, enraciné dans la culture et l’histoire du peuple kongo.
Rapidement, son message touche des milliers de fidèles, plus de 80 000, selon les archives – incluant des nobles et l’épouse du roi Pierre IV. Son influence spirituelle devient aussi un pouvoir politique, ce qui inquiète l’establishment colonial et monarchique.
Trahie, condamnée, martyre à Evolulu
En 1706, Kimpa Vita, enceinte d’un de ses compagnons, est arrêtée par les troupes du roi Pierre IV, alors qu’elle s’était réfugiée pour prendre soin de son enfant. Jugée par l’Inquisition portugaise, elle est condamnée pour hérésie. Le 2 juillet 1706, elle est brûlée vive à Evolulu, aux côtés de son compagnon. Le sort de son enfant reste aujourd’hui encore flou. Si les archives portugaises affirment que l’enfant a été épargné, la tradition orale kongo raconte qu’il aurait été brûlé avec elle.
Une Jeanne d’Arc d’Afrique
Son courage, sa foi, et sa fin tragique ont fait de Kimpa Vita une figure légendaire, souvent comparée à Jeanne d’Arc. Elle incarne à la fois la spiritualité africaine, la dignité noire, et l’aspiration à l’indépendance bien avant les luttes anticoloniales du XXe siècle. Pour l’écrivain congolais Nginamau Petelo, « on peut lui attribuer, dans une certaine mesure, la maternité de l’indépendance africaine, au titre d’héroïne de la dignité et de la liberté noire ».
Le souvenir de Kimpa Vita n’a jamais disparu. Son combat a inspiré de nombreux mouvements messianiques en Afrique centrale, tels que le kimbanguisme ou le matswanisme, mais aussi les Églises noires de résistance en Afrique du Sud. Elle continue d’être honorée dans les chants, les cultes et la littérature. En 2024, l’écrivain Wilfried N’Sondé lui a consacré un roman marquant, « La reine aux yeux de lune », salué par la critique. À Uíge, en Angola, une statue perpétue sa mémoire.
Kimpa Vita reste une figure tutélaire pour tous ceux qui croient en une Afrique libre, digne et spirituellement souveraine. Son histoire incarne l’union possible entre foi, identité et résistance. Elle est le témoin d’un temps où l’Afrique n’était pas soumise, mais debout et prophétique.
Kimpa Vita, c’est la voix d’un continent qui refuse de se taire. Une prophétesse, une rebelle, une martyre, une héroïne.